Lovecraft en B.D. chez Akileos

Bonjour à toutes et tous ! On entame cette nouvelle année avec la bonne résolution de publier régulièrement quelques chroniques de livres. On vous parlera des services de presse que l’on reçoit, de nos lectures personnelles ou des ouvrages sur lesquels on aura eu l’occasion de travailler s’ils nous ont tapé dans l’œil… mais pas forcément de parutions toutes fraîches, parce qu’on lit pas mal de vieilleries aussi 😉
Allez, c’est parti pour cette première chronique de l’année !

Afficher l'image d'origine

Lovecraft − Quatre classiques de l’horreur

Auteur : I. N. J. Culbard. Éditeur : Akileos. Prix : 29,50 euros.

Cet ouvrage regroupe les adaptations en B.D. de quatre des plus célèbres récits de Lovecraft : La Quête onirique de Kadath l’inconnue, L’Affaire Charles Dexter Ward, Les Montagnes hallucinées et Dans l’abîme du temps.
J’ai bien aimé la première, onirique comme l’histoire d’origine. Il s’agit des aventures de Randolph Carter, alter ego de Lovecraft qui voyage à l’intérieur de ses rêves (bien avant DiCaprio…). Le récit paraît décousu et les textes mystiques à souhait, comme dans un rêve en fait. Les paysages que traverse Carter nous font voyager. Le dessin reste assez sobre, parfois minimaliste, mais les couleurs changeantes d’une scène à l’autre participent à l’immersion du lecteur dans cet univers de fantasy à la fois merveilleux et inquiétant.

Je suis un peu plus réservée sur les adaptations de L’Affaire Charles Dexter Ward et des Montagnes hallucinées, qui auraient demandé plus d’ampleur, je trouve. Ce sont deux récits censés installer une ambiance sombre, voire provoquer de petits frissons, mais je n’ai pas ressenti ça dans la version B.D. Peut-être parce que les monstres n’ont pas été bien mis en valeur.

Dans l’abîme du temps, par contre, ne souffre pas de ces défauts. J’ai retrouvé exactement les mêmes impressions que dans la nouvelle originale. Les planches déroulent l’histoire avec un rythme plus contemplatif, qui sied mieux, à mon avis, à la découverte des vertigineuses et cosmiques dimensions de l’indicible.

Célia

Bitch Planet vol. 1

« Tu es non conforme ? Tu ne rentres dans aucune case ?
Tu es trop prude, trop maigre, trop effrontée, trop timide […] ou trop ce-qu’ils-ont-décidé-de-te-reprocher-aujourd’hui ? Tu pourrais bien finir sur… Bitch Planet ! »

Voilà comment la quatrième de couverture de ce premier volume de Bitch Planet nous met l’eau à la bouche : en interpelant le lecteur − et surtout la lectrice − qui se reconnaîtra probablement dans l’un de ces énoncés.

Quant à la couverture, elle affiche un air rétro remis au goût du jour, plutôt agréable à l’œil. CV-BITCH-PLANET_COVER

L’histoire

L’intrigue nous plonge dans une dystopie où le patriarcat, oppressant, semble le reflet exagéré des travers sexistes de notre société (occidentale, contemporaine).

Les femmes ne correspondant pas à l’idéal que l’on attend du beau sexe, aussi bien au niveau physique que comportemental, se voient déclarées « non conformes » et envoyées sur Bitch Planet, surnom donné à une prison qui s’occupe − à l’aide de bastonnades et d’hologrammes rose bonbon − de leur « rééducation ».

S’y ajoute le jeu pervers typique des dystopies à la Battle Royale/Hunger Games : le mégaton, une sorte de rugby aux règles plus dangereuses et fantaisistes. D’ordinaire, seules les équipes officielles se rencontrent mais, bien entendu, des types sans scrupules imaginent que la participation d’une troupe de prisonnières au championnat donnerait un petit coup de boost à leur audience.

Des choix engagés

On fait donc connaissance avec les futures participantes. Deux protagonistes se détachent du lot et, fait notable, il s’agit de deux femmes noires. L’une, le leader de l’équipe, est une sportive de haut niveau qu’il ne vaut mieux pas chercher. La seconde, obèse et grande gueule, compte bien poursuivre sa rébellion contre les standards de beauté qu’on a toujours voulu lui imposer.

Les deux héroïnes : Kamau (à gauche) et Penny (à droite).

Mais la scénariste est allée encore plus loin concernant la représentation des minorités. En effet, elle prend le contrepied de la plupart des publications américaines, faisant en sorte que les personnages blancs ne soient pas majoritaires. Et, clairement, nous ne sommes tellement pas habitués à ce genre d’initiative, que cela saute tout de suite aux yeux.

Autre proposition pleine de revendications : les petites annonces insérées entre les chapitres. Satiriques parfois jusqu’à l’absurde, elles en rajoutent une couche à propos des diktats, se moquant des injonctions à la minceur (par exemple en vantant les mérites des parasites intestinaux !).

Enfin, en bonus, l’interview des créateurs permet un éclairage sur ces prises de position et un dossier sur le féminisme confirme que cette B.D. se veut réellement éducative, fournissant des clés de lecture à travers, entre autres, les réflexions d’auteures/journalistes engagées.

Dossier-de-Presse_BITCH-PLANET-bd-2.jpgPréface de la scénariste et page de petites annonces (extrait du communiqué de presse).

En bref…

On tient là un premier volume qui promet, avec un dernier chapitre au dénouement inattendu.

Au premier abord, les personnages paraissent stéréotypés. Quand on nous présente Penny, on pense notamment au cliché de l’« angry black woman » et aux nombreuses délinquantes agressives et costaudes que l’on peut rencontrer dans les films/séries. On sent tout de même que la scénariste en avait conscience puisqu’elle s’est attachée à apporter de la profondeur à ce personnage dès le vol. 1, en creusant son passé.
Au final, malgré cet écueil, on s’attache et on s’identifie aux protagonistes.

La transposition du patriarcat et du carcan du genre tels qu’ils existent dans notre société − parfois de façon si intégrée qu’on ne les remarque plus −, en une version démesurée et dictatoriale est particulièrement réussie.

On gage que la suite devrait suivre le même chemin, au vu du succès de la série aux États-Unis. Le logo « NC » pour « non conforme » a si bien inspiré les lectrices américaines que nombre d’entre elles l’arborent maintenant sous forme de tatouage, en signe de ralliement aux idées que professe Bitch Planet.

Références :
Bitch Planet volume 1
Auteurs : KELLY SUE DeCONNICK (scénario) et VALENTINE DE LANDRO (dessins)
Éditeur : Glénat Comics
Les lecteurs se voient remettre à l’achat d’un album de Bitch Planet, le tatouage NC pour #NonConforme (#NonCompliant en anglais).
L’éditeur invite toutes les personnes volontaires ayant lu
Bitch Planet à témoigner sur leur propre vécu au moyen de ce formulaire : http://www.glenatcomics.com/bitch-planet/

Ellia